[Sanatorium] Prévenir et guérir...

[ Scylla ]

Les évènements s’étaient précipités. Si elle avait pu croire que la boisson consommée à l’Eternité avait été droguée, Scylla aurait pris lentement du recul. Mais tout cela était trop soudain, trop difficile à réaliser. Toujours soucieuse de cette traque perpétrée contre elle, elle accuse tout de même la noirceur de la fortune. Un souffle venait de la secouer, et plus encore, bousculer sa quête de tranquillité… La paix à laquelle elle aspire, qu’elle souhaite à la Galaxie.

Rien ne pourrait arracher cette lueur d’espoir de son aura. Malgré cela, la scène tournait en boucle dans son esprit : De la montée de violence du bar à la tentative de meurtre… Elle ressent encore l’impact de la balle qui aurait dû la frapper.

« Oh... Déesse… »

Lance t elle les mâchoires crispées. Vêtue dans une longue robe rouge dont le prés-au-corps sculpte avec charme ses courbes, elle s’avance sous les néons. Un fin maquillage atténuant la présence de ses tatouages, des lentilles grises, l’Asari a pris soin de changer d’apparence. Elle parait être une de ses courtisanes parmi tant d’autres… Plus aucun trait distinctif pourrait la confondre. Un pas de danseuse sur le vitrage lumineux du sol, elle pénètre dans la réception du Sanatorium.

Une circulation dense d’Asaris mais également une multitude d’autres Aliens anime l’endroit. Le service de soins était une tour de cristal plus large que haute ; Un accès simple entre le Secteur du libre commerce et nombres d’administrations corporatistes. Un immense hall de gare s’étend à perte de vue, sans cesse commenté par des annonces et autres appels aux praticiens. Chacun pouvait être soigné ici bas, moyennant finances… Et il fallait s’armer de prudence pour ne rien signer à la légère : Les courtiers d’assurance et autres commissionnaires de crédit bancaires circulaient autant que les malades entre ces murs.

Malgré tout le dégoût que la Sibylle portait à la nature visible de cet hôpital, elle aimait retrouver l’essence thérapeutique de ses sœurs. En effet, il existait une subdivision du Sanatorium consacrée aux soins Asaris. Une sorte de Thalassothérapie, utilisant la chaleur d’Illium et recanalisant l’humidité nuageuse en bains relaxants… On y connaissait la quiétude des massages et des fusions biotiques : Un secteur du Sanatorium extrêmement calme en comparaison avec le reste de cette industrie.

Ses pupilles s’étaient dilatées… Scylla croise nombre de personnes et se fond avec facilité dans cette foule. Anonyme, elle ne déteint pas du cadre et se dirige d’un pas sûr vers les vestiaires. Un simple signe de tête vers une réceptionniste, elle poursuit sa route. Celle-ci réagit mécaniquement et répond par un sourire... Sans se soucier de quoi que ce soit. Un poisson dans l’eau, elle tamise son empressement pour franchir un couloir… Puis un autre. Un sas s’ouvre devant elle, se referme derrière elle. Un don pour l'infiltration qu'elle n'exploitait jamais à des fins professionnelles...

Elle laisse trainer une main dans son sillage. Les doigts ouverts pour sentir le courant d’air de son avancée. La Sibylle effleure l’invisible comme si elle ne faisait que suivre le fil d’Ariane dans un labyrinthe. Ses doigts s’accrochent à une longue serviette de toilettes stockée sur une chariot. Son autre bras saisit un peignoir avec nonchalance… Sa course dure un long quart d’heure pour s’achever dans un dressing-room.

Isolée et équipée, elle se décharge de la serviette et du peignoir. Avec une extrême vigilance sur la certitude d’être seule… Scylla enlèvera délicatement sa robe. L'endroit était idéal pour changer de peau... Elle revele doucement l'intégralité charmante du bleu de sa silhouette.

Le silence régnait, tout semblait calme… D’un calme incroyable pour un tel endroit : Sûrement un idéal pour se vider l’esprit, apaiser les tensions du corps. L’Asari revêtue de son peignoir referme le lourd clapet du casier métallique ; Une fermeture magnétique simple pour clôturer définitivement le stockage parmi le rayon de casiers similaires. Les vestiaires étaient vides… Et l’unique voix féminine dans les hauts parleurs du sanatorium résonnait au loin.

La respiration de Scylla était régulière, bien qu’elle sentait toujours son cœur cogner contre sa poitrine. Le brouillard qui avait fait son apparition quelques minutes plutôt persistait, et révélait la présence chaude et humide des bains à proximité…

La jeune femme se pince la lèvre inférieure, indécise… La main sur la fraicheur du métal. Un regard à travers la légère brume, elle scrute les différentes issues. Comprimant son habit contre sa poitrine, elle lisse du bout des doigts ses tentacules vers l’arrière. Resserrés en bouquet à l’arrière du crâne, ces derniers avaient eu un léger épanouissement sous l’effet de la canicule ambiante.

Un sifflement étrange… Et un bruissement sur le sol tinte à ses orifices auditifs. La Sibylle ferme les yeux et laisse tomber sa tête en arrière. Une main sur la nuque, elle gémit légèrement et décontracte les muscles de son cou. Sa respiration se fait de plus en plus lente, et tranquillement elle quitte cette stagnation pour rejoindre les grandes salles d‘eau…

Un deuxième sifflement… Et de multiples chuchotements percent l’harmonie de l’irrigation aquatique. Sans nul doute que les grandes piscines, dominées de fontaines, ne sont pas vides de monde… Mais il était difficile de savoir d’où provenaient les voix. Scylla quand à elle se rapproche d’un des grands panneaux couvrant les baies vitrés. La lumière était faible ici, et la lumière astrale n’entrait que trop peu. D’une main, elle active le bouton de l’ouverture d’un des panneaux…

La mécanique déroulante révèle quelques rayons… Peu pour changer la globalité de l’ambiance lumineuse des bains, mais suffisamment pour éclairer la piscine bouillonnante la plus proche. Déposant son peignoir à son bord, glissant le long de ses jambes, la Sibylle se retrouve nue. La peau bleue et sa pudeur sont vaguement abritées par la vapeur… Elle n’attend pas et submerge le tout dans les thermes.

Elle passe la tête sous l’eau, et prend le temps de nager quelques mètres. Ses yeux turquoises resplendissent à la lumière du soleil… Elle s’aveugle en fixant le ciel visible. Scylla sourit avec simplicité et apaisement. Ses mains passent sur son corps, elle semble se laver… massant son épiderme pour se relaxer intégralement.

Un troisième sifflement… Quelques gouttes s’écoulent entre ses doigts. L’Asari sort une main de l’eau, paume vers le ciel. Elle quitte le soleil pour observer les lignes en son creux. Sa bouche s’entrouvre et Scylla souffle ; Comme si elle cherchait de la chaleur de son expiration à sécher sa peau. Un bruit de pression de vapeur, d’une ébullition imminente s’intensifie… La jeune Alien imite la sonorité entre ses lèvres. Elle siffle sur sa main qui s’enflamme à l’instant de son aura biotique.

L’énergie azure se concentre rapidement en une boule d’une quinzaine de centimètres de circonférence. La petite bulle translucide s’envole au dessus de sa paume. Comme un baiser envolé, elle souffle dessus. La sphère biotique décolle sur un mètre et retombe dans l’eau. Elle s’évapore dans le bain, illuminant d’une myriade de couleurs la totalité du therme dans lequel Scylla baigne.

Elle eut un bref rire de satisfaction, étouffé par sa discrétion. La nymphe retourne à l’observation de la luminosité extérieure. Son corps est envahi par le tourbillon calme qui l’enveloppe… Scylla profite du plaisir de cette détente.

Soudain, après une seule expiration… L’eau remuante venait de stagner. Difficile pour la baigneuse de savoir ce qui venait de se passer. Légèrement redressée, elle observe une éventuelle agitation autour d’elle. Ses yeux ne peuvent percer la vapeur environnante. Rien… Rien n’indique un quelconque incident, une panne ou un verrouillage des systèmes hydrophores.

Si elle percevait encore le son des voix… Celui-ci devenait peu à peur muet. Il ne restait que les clapotis des gouttes tombant dans l’étendue aquatique. Le vide et le silence envahissent la bulle dans laquelle la Sibylle s’est plongée…

Elle-même ne saisissait pas réellement ce qui se passait. Comment différencier le rêve de la réalité ?… Comment retrouver des repères temporels lorsque le temps s’arrête… Était-ce une vision de l’avenir, un vestige du passé…
Était-ce… ?

Une goutte d’eau perle sur son épaule, et l’Alien centenaire observe son étrange chute. Celle-ci finit par s’immobiliser comme pétrifiée sur son bras. Sortant la main de l’eau, elle cherche à faire tomber cette goutte fermement collée à sa peau. Il suffit peut être de souffler pour que la bulle s’envole.
Elle souffle doucement dessus…

La goutte se détache alors, mais contrairement à ce que la gravité voudrait, la perle d’eau fonce vers la baie vitrée. Une balle fulgurante qui brise l’épais verre en milles morceaux.
Scylla avait vécu cette scène la veille. Sa mémoire pouvait se jouer d’elle, encore et encore… La source de son mal et de sa peur ressurgissait pour la persécuter. Il lui fallait contrôler la vague d’émotions qui percutait son corps tout entier…

Un reflexe de protection bouscule son avant-bras. En bouclier devant sa tête, l’énergie Biotique enflammait son épiderme… Mais… A quoi bon ?

Le verre brisé s’étale sur elle et s’évapore en simple éclaboussure. L’eau omniprésente venait d’exploser. Et d’une goutte, un improbable orage tombait soudainement. Chatouillée dans tous les sens, Scylla ressent les milliers de gouttelettes qui quittent le bain pour le plafond. En parallèle le niveau du bain semblait augmentait pour inonder totalement la pièce. Son agitation à survivre semblait vaine ; L’Asari se retrouve immergée malgré ses efforts à s’agripper aux différents rebords... Un véritable déluge défiant toutes logiques.

Comme si la bulle en sécurité dans les profondeurs de l’océan, venait de rendre l’âme. La Sibylle se retrouve nue… Dans des abysses étrangement sombres. Ses tentacules s’étaient détacher de son crâne, déployait une étrange chevelure au dessus d’elle. Cette couronne composée de ses extensions organiques métamorphose l’allure Asari.

Perdue elle nage dans les ténèbres...
Aveugle, elle n’étouffe pourtant pas.
Sa respiration n’est plus, tout simplement…
...Le temps ici, n’existe pas.

Un long murmure siffle vers elle. Une voix difforme…

« N'est pas mort ce qui à jamais dort… »

Il est toujours surprenant d’entendre sa propre voix. On est souvent habitué à nous entendre de l’intérieur, avec notre résonnance corporelle. Pourtant… Il s’agit bien de la voix de Scylla distendue dans ces profondeurs.

La goutte doit revenir.
La Sibylle cherche à comprendre les mots.
Elle cherche d'où provient la voix.
La balle doit arriver à destination.
Scylla ne voit rien…

Ses yeux turquoises perdus dans le noir, se voilent de rouge : Elle saigne.
Des nappes violettes s’évaporent dans l’eau par son front. La goutte est revenue…
...La balle est enfin arrivée.

Le crâne percé par l’impact, son visage s’enflamme. Sa silhouette est éjectée en arrière, inerte… Le regard révolu vers un plafond de néant. La mort n’est pas une douloureuse épreuve : Pas pour soi.

Pourtant, la Sibylle n’est pas morte. Elle ne peut plus bouger, ni ses bras, ni ses jambes pour nager… Ni même ses yeux ; elle est malgré tout, toujours consciente.

L’impact frontal de la balle s’ouvre de lumière. Une lumière mauve, colorée par le sang qui brille à en percer ces noires profondeurs. C’est… Un troisième œil, comme un phare dans la nuit. Et enfin… Elle voit.

Quelque chose de géant, un vaisseau ou un animal de taille gigantesque. Un énorme tentacule frôle le cadavre de la Sibylle ; Une articulation révélatrice d’un système mécanique. Elle ne pouvait évaluer son envergure mais la puissante lumière de son troisième œil dessinait dans ces ténèbres une carapace couvrant intégralement l’horizon.

Un lourd crépitement de transfert de données résonne. Comme le cri d’une baleine, le bruit devient assourdissant à cette proximité. Des ondes bousculent le calme de l’eau… Et Scylla ressent enfin la douleur. Comme si une lame venait d’atteindre son cerveau : Un bruit de métal contre l’os… Insupportable.

Ses yeux se ferment. La lumière meure…

L’eau entre dans sa gorge, et par reflexes de survie elle se relève dans le bain. Scylla recrache et tousse ce qu’elle avait avalée. Elle avait dû s’endormir dans les thermes ; Emportée par son bien être… Sous le choc, debout dans l’eau, elle passe ses main sur son crâne. Ses yeux se clignent, elle essaye de retrouver ses esprits.

La Sibylle était revenue. Elle était toujours au même endroit, en pleine baignade. Autour d’elle, l’épaisse chaleur flottait en fumée… Les fontaines coulaient et la lumière perçante des soleils à la surface d’Illium irradiaient l’immense baie vitrée.

Non…
Pas une goutte n’était tombée… Pas une seule seconde n’était passée.
Elle savait ce qu’elle devait faire : Non pas dormir, mais faire dormir.
Tout était clair… Pour elle.
Elle murmure entre les dents, retrouvant enfin son souffle :

« Il est temps de dormir… »

L’énergie Biotique stimule ses muscles pour sortir de l’eau. Sans perdre un instant, Scylla quittera le bain d’un pas déterminé. Elle semble savoir précisément ce qu’elle était venue chercher.