"Have a drink, get some fun, free your mind." [Helena Jordun]

"Autorisation accordée, vous avez une place sur la baie d'amarrage A-21."
"Reçu."
"Welcome home."

Home. C'était ainsi qu'on les saluait à chaque fois. C'était vrai, pour Hadès, la Citadelle représentait bien plus son foyer que la vieille Terre, qu'elle avait préféré oublier les vingt dernières années de sa vie. Mais ce n'était pas le cas de tout l'équipage. Et une telle phrase avait le don de rappeler à ces vétérans de l'Alliance qu'ils avaient laissé tomber les armes contre les livraisons de matériel. C'était bien, la marine civile. C'était sympa de débarquer sur une planète en se proclamant sous l'autorité du conseil, pour déposer trois caisses d'engrais et du matériel agricole... Mais elle savait que les gars en avaient marre. Heureusement pour eux, les dernières nouvelles de l'Alliance avaient de quoi les réjouir. Ils allaient reprendre du service. C'était aussi pour cela qu'Hadès se sentait hautement responsable de sa prochaine décision, qui les amènerait sur Terre, pour récupérer les galons et leur titre officiel.

Mais pour l'instant, elle avait octroyé une permission à ses hommes. Il était temps de faire le point, de souffler un peu, et de poser le pied sur quelque chose de stable. Il y avait de quoi faire des emplettes ou se détendre, dans les boîtes de nuit ou les holothéâtres. Hadès ignorait quels étaient les derniers films sortis, mais allait remédier rapidement à ce problème. Lorsque la carlingue de l'Austerlitz cessa de vibrer, Hadès se trouvait dans sa cabine. Consultant d'un oeil les caméras de surveillance, elle vit l'équipage joyeusement sortir du vaisseau, dans leur tenue civile, le sourire sur leur visage, se frappant dans les mains pour se congratuler des derniers succès remportés par le vaisseau concilien.

Hadès s'assit sur son lit, jeta ses bottes de cuir râpées par le service dans un coin de la pièce. Elle s'étira et déboutonna la veste de son uniforme. A ce moment précis, elle ne se préoccupait plus de leur mission, ni même du prochain arrêt sur Terre. Elle avait d'autres choses en tête. Elle se leva, abandonnant là ses vêtements, et choisit quelque chose de plus léger et fonctionnel, une tenue décontractée qu'elle ne sortait que très rarement : un pantalon sombre avec une ligne blanche sur le côté de ses cuisses, des bottes de cuir brun, et une veste de pilote noire aux manches remontées, ouverte sur un débardeur clair. Ce n'était pas nécessairement ce qu'il y avait de plus sexy - et d'ailleurs, ce n'était en rien la préoccupation d'Hadès -, mais cela avait le mérite d'être extrêmement confortable. Elle passa une arme dans sa ceinture : l'expérience lui avait appris qu'il valait mieux avoir un petit quelque chose plutôt que rien, sur la Citadelle.

Elle sortit de sa cabine, après avoir vérifié que plus personne ne se trouvait dans les locaux, et mit pied à terre. Se frayant un chemin dans la foule, elle enfouit ses mains dans ses poches et profita du beau temps artificiel qui régnait sur la station géante. Les rumeurs la baignaient dans un bourdonnement agréable : retour à la civilisation. Elle fit l'acquisition de quelques pièces pour le vaisseau, acheta une paire de lunettes de soleil et un paquet de cigarettes, puis se rendit jusqu'à la zone du Praesidium. Avisant un café, elle s'installa en terrasse, ses lunettes sur le nez, et prit une position de décontraction totale, paresseuse, attendant Helena, comme elle lui avait proposé récemment.

Hadès avait allumé une cigarette et la fumait pensivement, son regard vairon dissimulé derrière les verres fumés de ses lunettes. Il tomba sur la silhouette élancée de cette jeune femme qu'elle avait sauvé de la stase un moment auparavant, sans qu'elle ne parvienne à situer clairement l'instant. Elle devrait lui demander. Tant de choses s'étaient passées depuis. Elle se redressa un peu, étira sa nuque.

- Chef? Tu me vois avec des galons?

Elle sourit à Helena et retira ses lunettes, qu'elle replia en les fixant sur sa poitrine.

- J'imagine que ce genre de coin, ensoleillé et rempli d'un monde banal, brillant comme une chambre d'hôpital, doit te changer. Mais comme je me fais vieille, je préfère le calme. Au moins pour le début.

Elle lui adressa un clin d'oeil et lui proposa de s'asseoir. Un serveur volus s'approcha. Hadès demanda simplement une bière.

- Ce qu'on fête... Hum.

Elle regarda son paquet de cigarettes qu'elle fit tournoyer sur la table, pensive.

- Je ne sais pas trop. A vrai dire, la dernière proposition est fort tentante.

Elle eut un sourire pour elle-même, le regard dans le vague. Elle appréciait la présence d'Helena. Elle était terriblement efficace, pouvait occuper un nombre de postes surprenant, était dans son élément autant dans les airs que sur terre... Et la jeune française devait avouer que sa proximité l'hypnotisait. Helena était charmante, et Hadès enviait sa jeunesse. Elle imaginait que la jeune femme pouvait avoir tout ce qu'elle désirait sans se fatiguer. Elle en conçut de l'amertume. Hadès saisit son verre et caressa la parois froide du bout des doigts.

- Je pense que tu es déjà au courant pour la prochaine escale sur Terre, j'ai l'impression que rien ne t'échappe, sur ce vaisseau. C'est une affaire entre Héméra et moi, comme un vieux dossier qui n'aurait jamais été classé après un nombre considérable d'années. Mais autant que je sache, tu n'es en rien concernée par l'Alliance. Si tu souhaites partir, sous la bannière d'un autre navire, ou voler de tes propres ailes, je ne te retiendrai pas. Ce sera moins l'aventure de partir en mission pour l'Alliance, mais au moins, il y aura de l'action en permanence.

Elle prit une gorgée de sa bière et resta silencieuse un moment. Elle plongea ensuite son regard vairon dans celui d'Helena.

- The truth is, que j'apprécie tout particulièrement ton... efficacité sur le terrain et ta capacité de réaction. On en aura sans doute besoin, sur le terrain. Donc, si tu ne sais pas quoi faire encore... Enfin... Hum... Personnellement, en dehors de toute considération hiérarchique, j'aimerais te garder près de moi.

Je commande également une bière au serveur Volus, imitant Hadès.

- Il faut dire que je suis une grande spécialiste des chambre d'hôpital désormais. D'ailleurs à ce sujet... Je crois bien qu'un certain docteur Lanson me connait sous toutes les coutures désormais.

Je souris et m'adosse contre ma chaise en observant la réaction d'Hadès, amusant mélange d'envie et d'énervement caché. Difficile de croire qu'elle se fasse "vieille" comme elle le dit elle-même.

- Et si la dernière proposition est tentante... et bien pourquoi ne pas y céder ?

Le Volus revient avec nos bières. Je me saisit d'une et goutte la boisson, affichant une légère grimace. De la bière ça ? Je suis certaine que c'est encore plus aseptisé que du médi-gel ! Je pourrai même décrire les différents composants de ce breuvage, pâle ersatz d'une bière terrienne. D'ailleurs en y pensant, c'est précisément ce qui se passe... On dirait que mes capacités gustatives et olfactives ont aussi pris un sérieux coup de boost. Je secoue un peu la tête, masquant ma brève confusion.

- Oui, cette histoire de réintégration. J'ai entendu des bruits de couloirs, rien de plus. A vrai dire, j'avoue ne pas être trop emballée par tout ça. Disons que je me suis renseignée sur mon passé et ce n'est pas vraiment glorieux. L'Alliance... disons qu'elle m'a beaucoup pris.

Et pour ma vengeance, je lui prendrai... tout. Je jette un regard autour de nous, ressentant la curieuse sensation d'être observée. Mon regard se perd dans la contemplation des lacs du Présidium tandis que je songe à l'avenir. Il faudra que j'amène Hadès avec moi pour lui offrir la destinée qu'elle mérite... Mais pour l'heure...

- Je réserve ma réponse. J'apprécie beaucoup la vie à bord de l'Austerlitz. Bon d'accord, j'apprécie beaucoup de t'avoir dans les parages également !, dis-je en la fixant du regard.

- Cela me fait penser que je ne sais pas grand chose de toi. Je veux dire, il y Héméra avec qui tu sembles bien t'entendre et j'ai aussi entendu parlé d'une Asari. Mais elle n'a rien à voir avec le portrait d'une autre Asari qui orne ton bureau... Ce ne sont pas mes affaires je le sais, mais je suis curieuse.
Je prend une autre gorgée, avec toujours ce sentiment que notre petit couple attire l'attention. Paranoïaque ? Oui, sans aucun doute ! Je me penche légèrement au-dessus de la tables et saisit délicatement les lunettes d'Hadès, les posant sur la table.

- On t'a déjà dis que tu avais un regard troublant ?

Il y avait des milliers de raisons pour laquelle elle ne pouvait pas céder à cette dernière tentation. Dans un premier temps, même si ce n'était pas officiel, Helena avait une place solide dans le vaisseau d'Hadès et Hemera, et cela serait sans doute délicat de céder à des tentations pourtant brûlantes. Ensuite, il y avait évidemment la question des goûts d'Helena. Après tout, Hadès était une femme dans la force de l'âge, certes, mais elle comptait déjà onze ans de plus qu'Helena. Elle n'avait pas non plus envie de paraître comme une vieille cougar à l'affût de cette chair tendre et vigoureuse. Ce serait sordide.

Elle choisit donc de ne pas relever cette question, la noyant sous son sourire esquissé. Hadès reporta son attention sur la jeune femme, et fronça légèrement les yeux en apercevant, l'espace d'une seconde, sa confusion après avoir goûté une gorgée de la bière. Elle examina son propre verre. Il n'y avait guère de changement, à ses yeux, en terme de goût. Elle reprit une gorgée, pour élucider cette réaction. Non, rien. Elle reposa son verre et haussa mentalement les épaules. Peut-être qu'Helena n'était pas habituée à la bière de la Citadelle, pâles copies des brassées terriennes. Elle qui avait été pendant un moment soldat de l'Alliance avait été presque élevée à ce goût un peu fade, et ne faisait plus guère attention désormais.

- L'Alliance...

Elle fit tourner son verre entre ses mains, pensive.

- Oui, elle a beaucoup pris. Je pense à ces jeunes biotiques, enfermés dans des camps d'entraînement, sans possibilité de voir leurs parents ou de fuir du programme. Je pense aux implants instables et autres dérapages. Mais quand on n'a fait que se battre toute sa vie, il faut parfois une bannière sous laquelle se ranger. La mienne est celle de l'Alliance. C'est pour cela que je te pose la question. Mon devoir est là-bas. Mais pas nécessairement le tien.

Hadès but une gorgée de bière, pour dissimuler la légère rougeur qui montait sur ses joues quant à la dernière phrase de la jeune femme.

- Ah. Tu veux qu'on parle de moi.

Elle esquissa un sourire pour elle-même et regarda Helena.

- Je ne connais que trois personnes qui me connaissent parfaitement dans la galaxie. Héméra. L'amiral Fitzwilliam Herbert, qui a été en charge de ma formation, et une autre femme. Ces personnes connaissent ma véritable identité et mes anciens faits d'armes. D'où je viens, de quoi je suis née... La dernière femme est une asari, celle dont tu as vu le visage sur mon bureau.

Le regard vairon d'Hadès se fit plus lointain, rêveur, et sa pupille bleue s'éclaircit.

- Elle s'appelle Kanel'Ra. Une excellente biotique. Mais surtout une érudite de haut vol. Elle était retenue dans un laboratoire top secret de cette organisation terroriste, là... Cerberus. Ils menaient des expériences plutôt musclées sur la création d'implants et des études sur les performances des biotiques. On a fait un bout de chemin ensemble. Elle est aujourd'hui sur Hyetiana, à la tête du département de philosophie de l'université.

Hadès marqua une pause, sentant son coeur se serrer un peu.

- On s'est mariées sur Thessia, ce qui est complètement stupide, tout le monde sait à quel point il est impossible d'espérer une vie de couple stable avec un soldat de l'Alliance. Et pourtant, on a voulu y croire... A chaque permission, je lâchais le navire et je courrais là-bas. Puis...

La culpabilité. L'holocliché de sa fille. La voix de Kanel'Ra. La douceur du visage de son ex-compagne. Hadès secoua la tête pour chasser ces visions.

- On a eu une fille. Il y a 7 ans. Je ne l'ai pas vue grandir. A ce moment, j'ai été prise par une masse de mission, pour l'Alliance, puis pour le Conseil. Et plus je passais du temps loin d'elles, et moins j'étais sûre de pouvoir revenir. Tu vois ce que je veux dire? Je n'ai pas envie de retourner là-bas en terrain conquis, comme si rien ne s'était passé. On a donc officiellement divorcé, mais j'envoie toujours des trucs là-bas, des messages... Enfin, tout cela est derrière-moi. Et puis avec le temps, tout ça, les sentiments s'éteignent... La petite est bien mieux auprès de sa mère pour s'épanouir. Mais récemment, mes messages semblent s'être perdus. Je vais devoir jeter un oeil à cette colonie. Un moment ou un autre.

A entendre après avoir récupéré sa légitimité de l'Alliance.

- Voilà. Tu sais... Plus de choses que la plupart des gens sur moi. Et qui sait, peut-être qu'un jour, toi aussi tu pourras m'appeler par mon prénom.

Elle lui sourit, un peu mélancolique, puis décida de chasser ces considérations. Elle avait visiblement eu besoin de vider un peu son sac.

- Allons, laissons cela de côté, on est en permission, que diable !

Elle saisit le trouble d'Helena, par empathie. Elle jeta un oeil autour d'elles, discrètement. Des gens parlaient, conversaient tranquillement, et paisiblement. Elle ne détectait aucune menace immédiate. Un homme était appuyé contre un poteau, un peu plus loin, absorbé par la lecture d'un datapad. Elle resta tout de même vigilante.

- Un regard troublant, oui, sans doute. Je suis née comme ça. Je me suis fait poser des implants oculaires, mon oeil gauche est aveugle.

Elle regarda les doigts d'Helena retirer ses lunettes, les lèvres entrouvertes, esquissant ensuite un sourire, s'approchant de la jeune femme, un peu joueuse.

- Mais je peux te retourner le compliment, jeune beauté.

Ses mains glissèrent sur le poignet d'Helena. Elle avait envie, soudainement, de la prendre près d'elle, la sentir contre son corps. Les signes ne pouvaient pas tromper, elle avait senti son regard lorsqu'elle avait retiré son haut d'uniforme pour endosser son armure, lorsqu'elles avaient sauvé Héméra. Les regards, les sourires... Du coin de l'oeil, elle vit l'homme au datapad ranger tranquillement son lecteur et entamer une marche vers la terrasse, un sourire sur le visage. La main d'Hadès saisit doucement le revers de la veste d'Helena et l'écarta doucement, et elle aperçut le holster. Esquissant un sourire, elle plongea de nouveau son regard bicolore dans celui d'Helena.

- Inquiète, miss Jordun?

Hadès inclina la tête doucement. Le calme d'Helena, olympien, était communicatif. Et pourtant, elle sentait que ce type venait chercher les ennuis. Hadès n'avait pas réellement envie de se battre ce jour-là - enfin, de toute évidence cela ne fait pas réellement partie de sa nature spontanée, en dehors des champs de bataille -, c'était le genre de truc qui pouvait compromettre son retour dans l'Alliance. Elle ne devait donc être mêlée à aucun trouble. Mais d'un autre côté, elle détestait ces jeunes gueux prétentieux qui caracolaient devant les jolies filles sous n'importe quel prétexte, à supposer que ce type rentre dans la catégorie susnommée. Après tout, Hadès avait environ 85% de chances de ne pas se tromper sur son compte. Le contact des doigts d'Helena sur sa peau gonfla son coeur d'un orgueil digne de ces jeunes loups, paradoxalement. Sans gêne, elle planta son regard bichromatique dans celui du jeune impertinent et le coin droit de ses lèvres se crispa, marquant son agacement. Helena reconquit cependant facilement son attention.

- Le Purgatoire? Oui, pourquoi pas.

Cela valait mieux. Il ne fallait surtout pas que son poing fermé vienne trouver les mâchoires de l'inconnu, cela ferait mauvais genre. Et cela valait mieux pour les deux jeunes femmes : Hadès supposait qu'Helena n'était pas du genre à se laisser emmerder ainsi. Et pour l'avoir vu au combat, elle n'aurait jamais voulu provoquer l'ire de la belle.

Cela étant, sa proposition, amusante pour la jeune femme, l'embêtait un petit peu. Les boîtes, c'était pour les jeunes, avait-elle décrété. Et après avoir dépassé allègrement la trentaine, après l'avoir écrasée et oubliée, elle avait un peu de mal à se projeter parmi ces corps mouvant, communiant avec une musique martelée, léchés par des lasers aveuglants. Mais si cela pouvait faire plaisir à la jeune femme, alors elle irait se ridiculiser. Ah, elle ne savait pas vraiment danser. Elle savait boire, cependant. Mais la danse pouvait être une façon d'explorer de nouvelles possibilités qui asséchaient la gorge de la jeune femme.

Elle se leva, gardant dans sa main celle d'Helena. Elle ne dit rien, serrant les mâchoires. Et Helena lui coupa radicalement le souffle. Elle attendit de s'être éloignée un peu, serrant dans sa paume la main d'Helena.

- Copine? Tu crois vraiment que c'est crédible?

Elle rit, le coeur léger, l'inconnu déjà oublié, relégué dans le coin sombre de son cerveau où elle maugrée. Elles marchent d'un pas vif, mais léger, presque innocent, en tout cas enthousiaste, et c'est en tournant à l'angle d'une rue qu'elle comprit qu'elles captaient les regards des autres badauds. Quoi, était-ce si inhabituel que cela? Après tout, les asaris couraient les rues, et s'affichaient sans aucune honte avec leurs compagnes. L'espace d'une seconde, Hadès se retrouva des années auparavant, en compagnie de Kanel'Ra, pendant qu'elles déambulaient, elle dans son uniforme, sa femme dans la livrée de son ancienne université, et elle parlait de sa thèse, tandis qu'Hadès écoutait, fascinée et déployant tous les efforts possibles de son intellect pour comprendre les paroles de Kanel'Ra. Elle serra brièvement la main d'Helena, un peu plus fort...

- Je pense que tu lui as fait tellement peur qu'il va d'abord faire un détour aux toilettes de la Citadelle. Alors, 15 crédits, pari tenu.

Elle lui sourit. Le Purgatoire donc. Hadès avait aimé dans sa jeunesse ce genre de lieux. Elle avait aimé l'ambiance, se mettant dans un coin obscur, à ingurgiter des boissons étranges, multicolores, chargées d'un alcool extra-terrestre, observant la foule fascinante. Elle entra et se tint près d'Helena, sans laisser échapper un mot, son regard un instant illuminé par les lasers.

Elles s'approchèrent du comptoir. Le son craché par les baffles était assourdissant, et Hadès devait se pencher vers la jeune femme pour entendre ses paroles tout en lui glissant quelques mots. Vodka pomme. La jeune femme hocha la tête pour approuver ce choix. De toute façon, elle résistait à tous les alcools. Helena était proche d'elle. Bien plus proche que ce qu'elle n'avait jamais été auparavant. Hadès retenait son souffle. Elle passa son bras autour de la taille d'Helena, répondant à son sourire.

- Donc, miss Jordun, vous avez l'intention de me faire danser? Je risque de me fracturer la hanche, pauvre de moi.

Elle sourit, prit une gorgée de vodka et regarda Helena. Il y avait des gens, qui s'agitaient autour, des marines en uniforme en permission, des turiens, des galariens qui faisaient le service, elle aperçut un volus en discussion avec un elcor, et pourtant, rien d'autre n'existait qu'elles deux. Elle regarda Helena, puis son verre, pensive. Elle le porta à ses lèvres et le vida d'une traite. Elle le reposa bruyamment sur le comptoir.

- Je voudrais juste ouvrir une parenthèse, Helena.

Elle s'approcha de la jeune femme, caressa sa joue, plongeant sa main dans la chevelure sombre de son lieutenant. Elle hésita une seconde, puis inclina légèrement le visage. Elle effleura doucement les lèvres d'Helena, ferma les yeux, puis intensifia le baiser, qui devint passionné. Elle se recula une seconde, les yeux toujours fermés, le coeur battant, se délectant encore de l'instant. Sa main se retira de la nuque d'Helena et elle la regarda.

- Parenthèse refermée.

Elle s'approcha de nouveau du comptoir et fit signe au serveur de la resservir. Elle regardait devant elle, se mordillant la lèvre.

- Tu veux danser, alors?

C'était un fait, le commandant Hadès D'Anceny, vainqueur par K-O du Blitz annuel de la bordure extérieure en 2169, N5 glorieuse, femme accomplie et conquérante, était une bien piètre danseuse. Elle aimait plus regarder les autres incarner une harmonie dissonante, dans le même soupir, ces mêmes mains crispées sur des hanches brûlantes. Et pourtant, saisissant entre ses mains cette chair vigoureuse, jeune et ferme, Hadès oublia qu'elle avait trente-six ans - bientôt trente-sept -, qu'elle était commandante et devait observer une certaine déontologie à l'égard de cette "consultante". Elle s'approcha de la jeune femme, la dévorant de ses yeux éclaircis pour l'occasion. Sa pupille bleue, d'ordinaire plutôt sombre, était désormais d'une couleur glacier qui s'approchait d'un gris éthéré.

Ses épaules heurtaient parfois les autres danseurs qui s'oubliaient sur cette piste aux vagues relents d'une tension tacite. Elle n'en avait rien à faire. Son regard était planté dans celui de sa compagne de ce jour. Il glissait sur ses pupilles sombres, caressait sur ses joues, s'attardait sur ses lèvres pourpres qu'elle avait envie de posséder. Ses mains parcouraient son corps sans le toucher, devinant ses hanches, la naissance de ses reins, son dos élancé, et ses seins superbes. Sa joue se posa contre la sienne, mêlant sa chaleur à la sienne et formant un système fermé, empêchant les regards étrangers de violer ce moment unique qu'elles partageaient enfin. Hadès tremblait, les yeux fermés, laissant la musique envahir et transpercer son corps. Ses mains se refermèrent sur les hanches d'Helena. Elle laissa son bassin épouser celui de la jeune femme et entamer une danse d'une lenteur sensuelle, tandis que ses lèvres glissaient doucement le long de son cou blanc, respirant son odeur et s'en enivrant, la lèvre tremblante.

Leurs pas les guident dans un endroit plus isolé de la piste de danse, mais cela n'avait aucune importance, les turiens, les volus et autres créatures peuplant le Purgatoire n'avaient plus d'existence tangible. Il n'y avait plus qu'elles et le désir montant dans ces corps tendus dans un effort de ne rien révéler.

Hadès sourit, sa main glissant dans le dos de la jeune femme, se posant cette fois sur la peau tendre.

- Pourquoi as-tu besoin de moi?

A cet instant, Hadès avait repoussé doucement la jeune femme contre l'une des parois de la piste de danse. La musique était assourdissante, mais ne parvenait pas à couvrir les battements de coeur de la française, qui pulsait douloureusement dans ses temps et au bord de ses lèvres. Une de ses mains s'appuya contre le mur, l'autre caressait la hanche de sa compagne, l'emprisonnant dans l'espace de ses mains.

- Tu peux... Presque... Tout me demander.

Elle se pencha, goûta avidement ses lèvres, ressentant le frisson d'un sentiment brûlant traverser tout son corps, et, ne souhaitant pour l'instant clairement l'interpréter, poussa un peu plus loin ce corps à corps, plaquant le dos d'Helena contre le mur, intensifiant le baiser.